Par Dominique Martinez 
Sortie : 9 décembre 2015
Durée : 1h32
Genre : Comédie dramatique
Un film islandais
Réalisation : Grímur Hákonarson
Distribution : Siguröur Sigurjonsson, Theodor Juliusson, Charlotte Boving…
Farce à l’humour noir autant qu’hommage à la nature, Béliers, de l’Islandais Grímur Hákonarson fait l’effet d’un grand souffle d’air glacé. Prix Un certain regard au dernier Festival de Cannes.
Dans une vallée reculée d’Islande, Gummi et Kiddi, deux vieux frères voisins brouillés depuis des années élèvent leurs moutons avec soin et se livrent une concurrence vache. Mais une menace sérieuse vient perturber leur routine : l’épidémie de tremblante contamine leurs troupeaux et les autorités sanitaires les obligent à abattre le bétail. Ce qui sonne l’extinction de l’espèce : ce sera la fin de la lignée des Bolstad, des bêtes de compétition.
Basé sur les risques réels de l’industrie de l’élevage intensif, le scénario agit comme une métaphore de la propagation de la crise financière de 2008 qui avait littéralement mis le pays K.O. en saignant ses finances publiques. Mondialisation oblige. Mais, plus qu’une chronique sociale le récit emprunte les voies de la fable anthropologique. Son titre sans article – Béliers – évoque un sens générique, universel, et une double signification : celle de l’espèce animale autant que celle de l’entêtement humain. Pourtant l’identité nordique n’est pas en reste allant jusqu’à flirter avec le pittoresque : les deux frères barbus à l’air renfrogné sont souvent affublés des classiques pulls jacquard en laine d’agneau ou des chemises de flanelle à carreaux écossais. Ils forment un duo contrasté et aux accents comiques. L’un, grand, flegmatique et réfléchi, reçoit la gestion de la propriété familiale en héritage. L’autre, bourru et trapu, est un sanguin qui fonce, se saoule et tire des coups de fusil aux fenêtres de son frère…

En toile de fond de ces querelles tragi-comiques, les décors font loi : montagnes enneigées, ciels interminables de gris, de bleus. Le climat est implacable : soleil, vent, neige, tout est frontal. Quelques notes de piano éparses font basculer l’atmosphère dans la solitude. Devant ce mélange d’humour noir et de drame, on pense à Noi Albinoi de Dagur Kari (2003). Et puis, progressivement, la nuit tombe et un sentiment de gravité l’emporte, faisant penser aux romans noirs de Arnaldur Indridasson et à son personnage principal, Erlendur, vieil enquêteur austère à jamais torturé par la perte de son frère au cours d’une tempête de neige, lorsqu’ils étaient enfants.
Quelque chose est en train de mourir, sur le point de s’éteindre, d’être enseveli. La planète gronde, les bêtes se meurent. Nous, peut-être, aussi. La dernière scène où les deux hommes, réfugiés sous la glace, leurs corps nus serrés l’un contre l’autre, tentent de survivre, est la plus belle du film. Plus qu’un hommage à la nature, elle appelle à un changement d’humanité.

Pour aborder le génocide en tant que fait historique, Guédiguian refuse la reconstitution et s’en remet à l’originalité d’un prologue en noir et blanc, dans un tribunal : au cours de son procès, Soghomon Tehlirian, dont la famille a été entièrement exterminée, raconte comment en 1921, il a exécuté en pleine rue, à Berlin, Talaat Pacha, principal responsable du génocide arménien. C’est le témoignage du premier génocide du 20ème siècle. Il sera acquitté par un jury populaire.



Géza Röhrig réussit ici une vraie performance d’acteur avec ce rôle tout en retenue. La mise en scène ambitieuse et intelligente fascine, quant à elle, autant qu’elle enferme et fatigue, rendant ainsi la toute puissance du mal à son paroxysme.

Belle idée d’accompagner le film en voix-off par les deux auteurs qui se relaient vocalement, et citent volontiers les auteurs, Simone Weil ou Melville. L’amour du couple d’artistes se ressent, et porte discrètement cette ode à l’artisanat, à la simplicité, au désintéressement, qui célèbre aussi bien la faune et la flore des fonds marins que les ports et les modestes intérieurs, les fêtes et les processions. Le Chant d’une île est un film libre, et fait écho à Et maintenant, précédent opus du duo, sorti en salles en 2014. L’écho d’un cinéma généreux et attentif au monde, désembarrassé du gras de la séduction à tout prix et de la belle image posée. Du cinéma brut.
Les Varenne se retrouvent aux prises d’un étrange litige entre le promoteur immobilier et le maire, tous deux très intéressés par la propriété. Jérôme décide de se rendre sur place pour éclaircir le mystère. Il retrouve un ami d’enfance, Grégoire Piaggi, dans le rôle du promoteur immobilier et découvre l’existence de la maîtresse de son père défunt, laquelle femme a une fille jeune et très belle, Louise, dont il va peu à peu s’étreindre. Mais le double interdit se profile puisque Louise est la fiancée du promoteur et que Jérôme vit avec Chen-Lin qui commence à le trouver plus que distant. 
L’état de séduction initial ne dure pas. La tension dramatique retombe assez vite et les dialogues plats ne donnent pas beaucoup d’espoir pour d’éventuels soubresauts. Entre drame et comédie, artifices de rebondissements de scénario classiques, adultères passés et présents, on oscille d’une sensation à l’autre, d’une envie à l’autre, sans savoir à qui ni à quoi se raccrocher vraiment. On se dit avec regret que ce film n’est pas abouti. Dommage. 
La réalisatrice a emboité le pas de six pèlerins attachants qui cheminent sur le « Camino Francès » débutant aux pieds des Pyrénées à Saint Jean Pied de Port. Les séquences sont rythmées par les « buon camino ! » échangés par les aventuriers rencontrés sur le chemin. Tatiana, une trentenaire pratiquante marche avec son fils de 3 ans, Cyrian, et son frère, un jeune adulte radieux qui lui, n’a pas la foi et aime s’amuser quitte à enrager sa soeur. Wayne Emde est Canadien. Après un inoubliable pèlerinage au Japon, en la mémoire de sa femme, il s’attaque à celui de Saint Jacques avec un ami. Le pain rassis ne les déprime pas. La danoise, Anne-Marie, « pas très religieuse » et indépendante rencontre quand-même l’adorable William, de dix ans son cadet, mais qui est » juste un compagnon de chemin « . Quant à Annie, une charmante quinqua américaine, elle s’étonne de la générosité ambiante. En effet, un étrange allemand, voisin de dortoir, lui porte son sac à dos une journée ! La belle Samantha vient, elle, du Brésil où elle n’avait plus ni boulot, ni logis, seulement des antidépresseurs et un mec qui buvait. Désormais, seule la beauté intérieure compte et peu lui importent ses cheveux pas lavés depuis un mois ! Le jeune portugais Tomas a rencontré deux amis pour la vie. La preuve que par le dépouillement et l’épuisement, on se rapproche plus facilement du cœur et du meilleur de soi. 

Trois femmes se douchent côte à côte. On entend : « Douche terminée ! Vous sortez ! ». Le ton est donné. La prison se profile. Deux des détenues peuvent sortir pour la journée. Mais la liberté surveillée impose quelques contraintes, à savoir ne pas se faire mettre le grappin dessus par un amoureux transi, et rentrer à l’heure le soir. Mona se fait belle dans le bus. Maquillage et boucles d’oreilles composeront le nouvel écrin de la jeune femme libre. Mona court pour rejoindre la sandwicherie de la gare du Nord où elle est vendeuse. Un homme qui l’a vue arriver, l’admire de loin avant de l’appeler. Mais elle ne veut plus le voir. Le pauvre Clément qui ne pense qu’à elle se confie à son ami Abel qui lui suggère de déclarer sa flamme à la belle Mona. Les deux garçons la suivent jusque dans son train et l’obligent à en descendre. Quand les portes se ferment, elle sait qu’elle devient une fugitive puisque le contrat de confiance est rompu…
Et comme le film est très bien écrit et très bien joué, on se délecte de cette histoire pourtant, avouons-le, un peu tirée par les cheveux. Le premier film de Garrel est certes ancré dans un cinéma bien français mais on sent sa patte personnelle, la patte Garrel dira-t-on certainement dans quelques années.
Parmi les autres curistes : un acteur en préparation d’un rôle, un ancien footballeur empâté et un moine bouddhiste adepte de la lévitation. Tous se regardent le nombril, exposant leurs soucis de santé, leur amourette d’adolescent… Les deux amis évoquent avec philosophie le temps passé, les sacrifices, les regrets, les trahisons inavouées, l’angoisse de vieillir, conscients que le temps à venir leur est compté. Petite lumière d’espoir, au beau milieu d’un univers où règnent les retraités botoxés : l’apparition dans la piscine de Miss Univers, celle-là même qui nous vaut l’affiche du film. Une fois sortie de la piscine et de l’affiche, l’actrice sera vite oubliée. Côté choses sérieuses, la reine d’Angleterre a demandé à Fred d’interpréter Simple Songs, son œuvre la plus célèbre, ce qu’il refuse fièrement sans se justifier. Quant à Lena, elle prévient son père qu’elle va divorcer.






C’est un film sèchement politique. Brutal même. Sans spectaculaire, sans grandiloquence, mais avec force et réalisme, Stéphane Brizé livre dans ce sixième film, un constat sans concession sur notre société actuelle. La première scène annonce la couleur. Dans un long plan séquence, Thierry dit au conseiller Pôle emploi sa fureur de s’être vu envoyer faire une formation dès le départ inutile, alors que lui pensait accroître ses chances de trouver un travail. La caméra filme un homme de peu, un taiseux en colère, un poli lucide. En face, elle en filme un autre, gêné, comprenant l’inanité du mécanisme à l’origine de cette colère, mais qui ne peut dénoncer la logique en place puisqu’il est payé pour l’appliquer au quotidien. Tout est là. La violence et l’absurde d’un système qui répond à La loi du marché, celle qui pousse des entreprises bénéficiaires à licencier leurs salariés – des hommes et des femmes – pour faire encore plus de profits. La condition sociale est au cœur du film et scène après scène Brizé s’attache à croquer un système qui broie les hommes, réduits à sauver leur peau les uns contre les autres. La rupture avec ses anciens collègues syndicalistes dépassés, la lassitude des entretiens d’embauche sur skype déshumanisés, la résignation aux ateliers de professionnalisation acerbes, le sang-froid lors des rendez-vous moralisateurs à la banque, etc. Egales dans leur dimension d’humiliation sociale banalisée, ces séquences sont presque toutes coupées au milieu comme un symbole que les enjeux soulevés ne trouveront pas de solution. Celle où Thierry et sa femme négocient avec un autre couple la vente de leur mobile-home est révélatrice : chacun est à 100 euros près. On en est là. La seconde partie du film, située à l’intérieur du milieu du travail est un portrait aussi frontal…
Comme un bloc, Vincent Lindon incarne, souverain, « un costaud qui encaisse ». Il n’en est pas à son premier rôle de prolo et après Mademoiselle Chambon (2009) et Quelques heures de printemps (2012), il se révèle à nouveau sous la direction de Brizé, qui l’a entouré d’acteurs non professionnels jouant leur propre rôle. Le cinéaste dit avoir voulu « confronter l’humanité d’un individu en situation de précarité à la violence de notre société ». Le résultat est là : son cinéma âpre et économe, qui s’attache à porter sans cesse le regard de Thierry, agit comme un miroir. Et révèle à froid toute la férocité de la violence ordinaire.